louislaouchez

L’ESTHETIQUE DES ŒUVRES

Une expression singulière
née d’un rapport sensoriel au réel

Cherchant à tourner le dos à un académisme qui imprègne l’enseignement des arts plastiques, Laouchez se libère dès les années 1960 d’un discours eurocentré sur la modernité et s’oppose en tant qu’enseignant à une doxa qui a infiltré les écoles d’art du continent africain. L’œuvre tend vers un référentiel africain sans pour autant se réduire à un mimétisme formel. L’immersion totale dans une Afrique vivante, organique et non fantasmée favorise cette porosité : les espaces, les sons, le climat imprègnent directement l’artiste. Le quotidien d’apparence banal est un livre ouvert de significations profondes, qu’il s’agisse des postures des corps ou du rapport des individus à la matérialité et aux objets qui les environnent. L’artiste arpente un univers rempli de signes qu’il réactive avec sa propre sensibilité. Les tracés prennent librement possession de l’espace et s’affranchissent d’une lecture unique. Le regardeur lui-même est appelé à participer au déchiffrement du sens.

Esquisses de 1980 et gravure sans titre

D’apparence réduite (bruns, rouges, noirs, blancs), la palette chromatique de Louis Laouchez est une gamme de tons travaillés subtilement et de nuances qui s’accordent musicalement. Omniprésents, le blanc et le noir sont dégradés entre ombre et lumière, entre saturation et dilution. Utilisé avec parcimonie, le bleu profond n’est pas sans rappeler la teinture à base d’indigo, une substance synonyme de richesse et de noblesse. Au fur et à mesure de son évolution, la peinture de Laouchez monte en intensité et en contrastes maîtrisés. La prééminence du blanc et des ocres dans la couche picturale fait écho aux pigments minéraux ayant de nombreux usages dans une Afrique rurale : le kaolin, les ocres, l’argile ou la latérite. Instantanément, revivent sous nos yeux les surfaces murales des maisons sahéliennes (murs de banco, graphisme des peintures murales des femmes Kasséna) ou la polychromie des masques-lames (Dogon, Mossi, Bobo, Nafana…). Les marrons foncés, les beiges et les noirs rappellent les boues fermentées utilisées pour la teinture des bogolanfini, cotonnades robustes aux couleurs mates et opaques.

D’apparence réduite (bruns, rouges, noirs, blancs), la palette chromatique de Louis Laouchez est une gamme de tons travaillés subtilement et de nuances qui s’accordent musicalement. Omniprésents, le blanc et le noir sont dégradés entre ombre et lumière, entre saturation et dilution. Utilisé avec parcimonie, le bleu profond n’est pas sans rappeler la teinture à base d’indigo, une substance synonyme de richesse et de noblesse. Au fur et à mesure de son évolution, la peinture de Laouchez monte en intensité et en contrastes maîtrisés. La prééminence du blanc et des ocres dans la couche picturale fait écho aux pigments minéraux ayant de nombreux usages dans une Afrique rurale : le kaolin, les ocres, l’argile ou la latérite. Instantanément, revivent sous nos yeux les surfaces murales des maisons sahéliennes (murs de banco, graphisme des peintures murales des femmes Kasséna) ou la polychromie des masques-lames (Dogon, Mossi, Bobo, Nafana…). Les marrons foncés, les beiges et les noirs rappellent les boues fermentées utilisées pour la teinture des bogolanfini, cotonnades robustes aux couleurs mates et opaques.

L’austérité et la sobriété relatives de certaines compositions peuvent rappeler l’art pariétal. Laouchez invoque à plusieurs reprises dans ses compositions les origines de l’humanité et cherche à entrevoir le moment d’éclosion de l’art et de la spiritualité, fruit d’une conscience aigüe de la mort. En peignant Graffiti dans le sud 1991, il a nettement à l’esprit les gravures rupestres du massif algérien du Hoggar.

Ci-contre : La marelle disparue où dans un espace fortement cloisonné, le blanc se répand hors du cadre de l’échiquier. Son éclat évoque la blancheur du kaolin qui, saupoudré, sert à purifier les espaces rituels.

Une organisation libre de l’espace pictural

Dans les oeuvres bidimensionnelles de Laouchez d’ordre plastique est une poésie singulière composée de couleurs, de rythmes et de tracés linéaires. L’artiste dans son urgence à peindre ne se préoccupe ou moderne, occidentale ou orientale. Les codes de la peinture qu’on lui enseignés ne sont plus dans une urgence de créer. Sa peinture n’a pas recours à laquelle il répond séduction, tout au plus une efficacité et à la d’exigence et de sincérité. L’espace y est souvent construit par registres et par emboîtements. Le regardeur peut vaoir de fait offre la possibilité d’exhiber la toile à l’horizentale et de se déplacer autour. Louis Laouchez maîtrise un mode d’expressio, abstrait dynamique qui fait avancer ou reculer les surfaces en plans décalés les uns et les autres. Il tourne le dos à toute forme de géométrie rigide. La gestualité qui s’exprime par le trait ample, irrégulier, les coulures et les espace-temps où se déroule la performance. Les formats ambitieux impliquent le spectateur dans une relation d’immédiateté avec la subjectivité du peintre. 

Ci -Ci-contre : Dans Promiscuité le peintre crée dans le cadre une division en des cadres multiples envahis de différentes tonalités de bleus. Un rouge intense vient rehausser l'ensemble. Comme sur une porte de grenier dogon, les scènes situées dans chacun des compartiments sont étagées sans hierarchie.

L’une des constantes dans les titres des oeuvres de Laouchez est d’en appeler à l’oralité par l’injonction,l’interrogation ou l’exclamation. Les mots sont clamés avec une pointe d’ humour décapant : C’est moi le chef, obéissez 2012 Ç a passe ou ça casse 2012. Laouchez nous ramène souvent aux réalités amères de l’insularité et d’une situation marginale héritière d’une longue histoire marquée par un éloignement des lieux de pouvoir. Dans Lerop e pi nou se ki sa , 1990 (coll part.), il pointe du doigt un sujet qui fâche ,dénonce les politiques qu’il juge inadapté e s à la réalité martiniquaise Toujours il s’insurge contre les inégalités.

Une pratique expérimentale qui sonde la matière

Formé à la poterie-céramique dans sa jeunesse, Laouchez aimera sa vie durant expérimenter la matière et réinventer des techniques artisanales pour les élever au rang d’art. Dans ses peintures Laouchez introduit fréquemment des matières hétéroclites et emprunte des fragments du réel. Il incorpore à la peinture à l’huile des éléments étrangers avec une inventivité sans borne. L’emploi du médium seul aurait sans doute une connotation trop européenne. Grâce à l’ajout de sable, également mis à l’honneur parles tenants du surréalisme et de l’art informel, la matière picturale gagne en épaisseur, en densité et en solidité.Il en résulte des images qui paraissent pétrifiées ou fossilisées.

A partir de son séjour en Afrique Louis Laouchez a recours au tapa, un textile non tissé fait à partir du liber d’une écorce assoupli après avoir été battu. En Côte d’Ivoire on parle selon les langues, d’ofoin(en baoulé), ou debofoin, bofouan, pla. Dans les sociétés traditionnelles on recourait à certaines écorces pour confectionner une étoffe à usage vestimentaire tel que le pagne glôkô porté chez les Bété. Laouchez applique des fragments de tapa sur la toile avant d’étaler une couche épaisse de peinture à l’huile qui laisse deviner le relief et les aspérités du matériau. Il opère de la même façon avec le jute. Au début des années 1980, les artistes ivoiriens du groupe Vohou Vohou attirés par les objets de rebut autant que par les matières brutes naturelles, adoptent le tapa en lieu et place de la toile de lin. Ils ont aussi recours au jute et aux fibres de raphia qu’ils collent sur la toile en sous-couche de la peinture. Le choix de matériaux vernaculaires est entendu comme un retour à une forme d’authenticité.

La pyrogravure fait partie des techniques récurrentes utilisées par l’artiste. Si elle ne permet pas l’obtention de tirages multiples par encrage,elle engendre une création qui se situe à mi-chemin entre sculpture et arts graphiques. Le geste du dessinateur permet de creuser la surface et de laisser un tracé de couleur foncée aux effets d’encre brune. C’est en Afrique qu’il expérimente cette technique, sur des écorces, avant de s’attaquer au cuir.  Après avoir utilisé une pointe chauffée au rouge manuellement, il opte pour un pyrograveur électrique, plus souple d’utilisation et qui a l’avantage de faire varier la température et, par conséquent, d’apporter une grande subtilité dans les nuances.

Dans la toile Vive la caraïbe de 2012 les contrastes colorés rappellent les compositions d’écorces de grands formats en écorce pyrogravée et peinte. Ces dernières montrent une saturation de l’espace et un enchevêtrement de corps dont certains placés tête-bêche. De manière récurrente des morceaux de tapa pyrogravés sont intégrés aux compositions peintes sur toile comme dans Quiétude(ci-contre) où la peinture s’harmonise avec les tons d’écorce.

A la fin des années 1990 Louis Laouchez réalise une série limitée de bijoux en duo avec sa fille Louisiane et en collaboration avec la prestigieuse maison d’orfèvrerie Goossens. Avant l’opération de la fonte du métal, la forme du bijou est soigneusement modelée avec de la cire sous la direction de l’artiste. On notera la parenté qui existe entre les motifs des bijoux, réalisés en métal doré et argenté, et le réseau graphique des écorces pyrogravées. L’agencement des éléments est assez proche de la manière de réunir entre eux les carrés d’écorce avec des charnières de corde. Bien qu’ils occupent une place marginale, les bijoux de l’artiste ne se départissent pas de l’œuvre et témoignent de sa curiosité pour les métamorphoses de la matière. Son passage par les ateliers des fondeurs ouest-africains a sans doute stimulé cette inventivité.La rencontre avec la maison Goossens est l’occasion de se rapprocher ponctuellement de l’univers de la mode et du luxe.

A l’intérieur de la composition, les figures, aux contours déformés par la contrainte imposée par le cadre, font écho aux écorces bien qu’elles soient d’une toute autre échelle.

Photo bijoux en vis à vis

L’œuvre gravé de Louis Laouchez est d’une grande variété se plaçant à mi-chemin de l’œuvre peint et du travail graphique.

Louis Laouchez s’est initié à la gravure au carborundum qu’il apprécie car elle apporte une grande richesse de texture et une certaine robustes se comme le montre Vieil Aéropage(ci-contre).

Cette technique de gravure fut mise au point en 1967 par Henri Goetz(1909-1989)3 un artiste représenté par la galerie Paul Hervieu à Nice avec laquelle Laouchez est en relation. Elle consiste, à l’inverse des techniques de gravure où l’on entame la surface d’une plaque, à venir déposer des grains (de carbure de silicium) fixés entre eux par un liant sur le support d’impression. Sur les estampes obtenues la sensation d’épaisseur dans les noirs fait penser à du bitume.

A l’inverse, dans l’eau-forte la ligne peut se faire sinueuse et gracile. Ainsi, la Famille 2001 (ci-contre) traitée avec un rendu plein de finesse et de douceur, rassemble des personnages aux membres souples et légers.

Par une série de dessins à l’huile sur papier datée de 2015 Louis Laouchez interroge la frontière entre dessin, gravure et peinture. Il s’agit d’un travail répétitif qui engendre des originaux multiples qu’il désigne sous le titre de Variations. Cette série qui voit le geste répété et infléchi pourrait faire penser aux épreuves obtenues via le procédé du monotype.

Ci-contre : à gauche Variation N°17 et à droite Variation

Des sculptures-totems polychromes

La pratique de la sculpture qui s’impose tardivement constitue un des jaillissements les plus féconds de l’oeuvre. A la veille des années 2000, Louis Laouchez entreprend une suite très homogène de totems qui forme le bouquet final du corpus de l’artiste. La forme verticale de ces sculptures est inspirée des échelles en usage chez les Dogon et les Lobi. Elles sont caractérisées par leur étroitesse et la forme en Y de la fourche d’arbre dans laquelle elles sont façonnées. Creusées d’encoches formant des marches, elles permettent d’accéder au niveau des toits-terrasses des habitations. La présence des totems placés entre ciel et terre, dans un élan ascensionnel n’est pas sans nous engager dans un rapport de verticalité et de dépassement de soi. Leurs silhouettes quasi anthropomorphes ou zoomorphes évoquent des esprits tutélaires protecteurs. L’artiste a pleinement conscience que le fait de prélever un arbre de la forêt et de l’abattre n’est pas un acte anodin pour la plupart des peuples autochtones. Dans de nombreux cas un tel geste est scrupuleusement entouré de tabous. Louis Laouchez a sans doute entendu parler de la valeur accordée au Sahel aux bois durs et anciens ayant résisté aux aléas du temps. Ces derniers sont apparentés à des abris à génies ou à de vieilles personnes à qui l’on doit le plus grand des respects.

En fonction des étapes, l’artiste se fait tout à la fois bûcheron, sculpteur, graveur, menuisier et peintre. La quête du volume s’accompagne d’une recherche de polychromie dans des tons chauds qui contrastent avec le vert intense de la nature environnante. Après avoir mis les troncs de mahogany à tremper dans des cuves où ils subissent un traitement fongicide, Louis Laouchez les transporte dans son atelier où ils reposent à l’horizontale. Il les attaque avec différents outils en veillant à conserver la longueur intégrale du fût, réalisant un véritable tour de force. La netteté des découpes fait apparaître des figures humaines ou vaguement animales. Des lignes sinueuses s’enroulent comme des lianes au gré de la courbure du tronc. Ailleurs, des fentes nettes et parallèles entament régulièrement le bois. Certains totems sont ponctuellement hérissés de chevilles qui donnent l’effet d’une crête animale hirsute ou de clous enfoncés rituellement. La couleur mise au bout de la brosse vient se loger dans les anfractuosités du bois, sur les aspérités du tronc et à l’extrémité des chevilles. Elle ajoute un épiderme charnel qui n’est pas sans rappeler les peintures corporelles amérindiennes au roucou et au genipapo. Ces sculptures monumentales qui excèdent parfois trois mètres de hauteur, ne tirent pas leur origine d’une tradition éprouvée. Elles sont l’aboutissement d’une pratique exigeante et d’une trajectoire singulière qui parvient à convoquer plusieurs mémoires.

Dans une toile de 1991 intitulée Signes et creux on entrevoit au centre la préfiguration d’une forme de totem mais cette recherche aboutira à la sculpture dans les trois dimensions une décennie plus tard.

Des dessins préparatoires de l’artiste témoignent d’une investigation d’ordre sculptural et pictural avec un choix de couleurs nettement contrastées.

Ci-contre : Un totem extérieur scellé dans le jardin de l’habitation Prospérité se détachant sur fond de verdure vert acidulé.

Extraits du catalogue de l’exposition Chemins de Mémoires. Texte de Jean Marie-Louise

[…]Le totem de Laouchez concilie la statuaire africaine et les zémis amérindiens. La première s’inspire des sources de vie, des actions, des comportements des ancêtres et sert d’intermédiaire entre les vivants et l’esprit ancestral. Les seconds marquent le chemin entre l’être humain et les puissances spirituelles, définissent ses rapports avec les Ancêtres et les Dieux. L’une et les autres sont arts expressifs, conceptuels, empreints de croyances, imprégnés de valeurs symboliques, pénétrés d’une intensité magique, attachés à une signification métaphysique ou éthique, associés à des fonctions religieuses, cultuelles ou rituelles.

[…]

Estelle Onema
2020

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